Journée Baltazard du 13/11/2002,

quelques mots en souvenir de Suzane Moner-Baltazard

Je me suis permis de placer un portrait de ma mère, parce qu'elle s'est vraiment dévouée à la Société de pathologie exotique (SPE) et que je trouve l'occasion appropriée pour se souvenir un peu d'elle aussi

Après des remaniements à l'IP, qui l'ont vue assez brutalement remplacée aux relations extérieures, poste que Jacques Monod avait créé pour elle à la mort de mon père -, ma mère a été accueillie par A. Dodin et G. Remaudière dans l'enceinte du pavillon des instituts Pasteur d'Outre-Mer (le bâtiment Nicolle) et du pavillon Laveran. Jusqu'à son départ en retraite, elle était, à mi-temps, en charge de tout le secrétariat de la SPE et pour l'autre mi-temps, elle occupait un poste de documentaliste, faisant bénéficier G. Remaudière puis B. Papierok, de son excellente connaissance du russe : elle effectuait la traduction de nombreux articles en cette langue, consacrés aux insectes ou à la lutte biologique à l'aide des champignons.

La disponibilité et la gentillesse avec laquelle elle recevait ceux qui s'adressaient à elle sont illustrées par des extraits d'une lettre que je viens de recevoir de Sergei Spiridonov, de l'Institut de parasitologie de Moscou.

"En 1991, je cherchais des renseignements sur les scientifiques russes ayant participé à des recherches zoologiques dans l'ex-Indochine française (dont Toumanoff, de l'IP). 1991 était l'année où le régime communiste s'éteignait - du moins officiellement - en Russie et nous - les Russes - jouissions de la possibilité d'échanger librement lettres et opinions avec les Occidentaux, mais nous nous heurtions à une sorte d'incompatibilité émotionnelle. Aussi, c'était une grâce du ciel de découvrir un correspondant aussi ouvert d'esprit, aussi cultivé, aussi chaleureux que Mme Baltazard - qui de plus excellait dans l'art épistolaire, que ce soit en français ou en russe. Chacune de ses phrases, magnifiquement manuscrites, respirait l'amitié et un intérêt non feint.
Ce n'est qu'après son décès que j'ai reçu une photographie où irradiait son regard. Je garde précieusement ses lettres qui, encore aujourd'hui, me transmettent l'énergie de sa personnalité."

Elle avait son travail très à coeur et donnait son temps sans compter. En effet, déjà quelques années avant la retraite, on lui avait conseillé une opération qu'elle reportait, sachant que le travail risquait de s'accumuler en son absence puisqu'elle était seule à assumer le secrétariat. Lorsqu'après la retraite et son déménagement à Compiègne, elle s'est décidée à subir cette opération , il était déjà tard et l'intervention devenait délicate. Le chirurgien n'a fait hélas qu'aggraver les choses. Il a fallu dans un bref délai refaire en vain l'opération, puis procéder encore à une opération de la hanche, rendue douloureuse par l'arthrose. C'est cette succession d'interventions qui l'a terriblement affaiblie. Sa disparition si brutale a donc surpris tous ceux qui l'avaient vue encore si gaie et si dynamique lors de son départ de l'IP deux ans auparavant.

Je voudrais rendre ici hommage au courage de ma mère, veuve à 41 ans, avec 4 enfants entre 18 et 3 ans à élever. Elle était une mère très affectueuse, gaie et ferme, dernier trait de caractère qui est peut-être parfois plus difficile à accepter de la part d'une mère que d'un père et qui lui a valu bien des rebellions de notre part. Et pourtant, il fallait bien qu'elle soit à la fois père et mère et je trouve qu'elle y est si bien parvenue que personnellement, je n'ai jamais vraiment souffert de l'absence de père (je ne parle pas ici pour mes frères qui l'ont connu et qui ont dû terriblement souffrir de sa disparition). Cependant, à la mort de ma mère en 1997, j'ai retrouvé les archives scientifiques de mon père et, comme c'est hélas souvent lorsque l'on a plus personne à qui demander que l'on se pose plein de questions, j'ai commencé à m'intéresser à sa vie. Je dois avouer que je rejetais jusque là le mythe du héros au côté duquel ma chère mère semblait "terne", pour reprendre le terme impitoyable encore entendu ses jours-ci. En lisant la correspondance de mon père, j'ai pu découvrir sa personnalité et accepter ce qu'il y avait à admirer - et il y en a !, voir aussi ses défauts : il devenait réel. Préparer cette journée m'a donc donné l'impression de construire une fondation qui, sans que j'en ai conscience, manquait à ma vie. Je suis très reconnaissante à la Société de pathologie et à son président M. Chippaux d'avoir eu l'idée d'organiser cette journée et je remercie tous les orateurs qui ont bien voulu participer.

Je voudrais aussi remercier mes amis des archives Denise, Daniel et Stéphane, ainsi qu'Alain Epelboin pour leurs encouragements qui m'ont menée à la création d'un site internet dédié à la mémoire de mon père.

Enfin, je remercie mes frères d'être venus: notre devoir de mémoire envers nos parents est de rester proches. C'était le grand souci de notre mère qui, dans notre dernière conversation téléphonique, m'encourageait à me réconcilier avec l'un de mes frères. Devant mon refus, elle m'a quittée sur un "je suis bien triste" que je n'ai plus jamais pu consoler. Le rassemblement aujourd'hui de la famille panse un peu cette blessure.

Suzanne Baltazard-Gajewski


 

Chère amie,

Je tiens à vous remercier chaleureusement de m'avoir convié à cette matinée d'hommage à vos parents qui a été formidable. J'ai beaucoup aimé la conférence de Rodhain car ses critiques sur certains aspects monstrueux de la recherche d'aujourd'hui (où la "Nature" est ignorée) rejoignent exactement celles que j'ai présentées à l'Université de León il y a quelques années. [voir texte de cette conférence en format pdf]

Votre intervention si chaleureuse et si émouvante a été également vivement appréciée. Ce fut pour moi une grande émotion d'entendre les souvenirs de votre maman.
A l'occasion de ses passages à la bibliothèque du labo, nous avions de temps en temps l'occasion de bavarder : nous parlions surtout de l'Iran, ce pays que j'ai beaucoup aimé grâce à la douzaine de voyages que j'ai effectués entre 1955 et 1978. Quelquefois, j'étais très fier de lui montrer en quelques phrases que je n'avais pas encore tout oublié de la langue persane !

Depuis que votre maman nous a quittés, il m'arrive souvent de penser à elle lorsque je consulte ses traductions d'articles russes et ukrainiens sur les pucerons. En dépit de mes 80 ans, j'ai en effet la grande chance de pouvoir encore travailler sur ces insectes et de poursuivre l'exploitation d'une petite partie de l'énorme matériel que j'ai rassemblé au cours des 55 dernières années. Je voulais donc vous faire part de ma profonde reconnaissance pour l'aide précieuse que votre maman m'a apportée. Je voulais aussi vous demander de m'excuser de le faire avecn autant de retard.

Encore un grand merci et mes meilleures amitiés.

Georges Remaudière